dima
  • Valparaíso

    Je suis arrivé à Santiago du Chili avec Sara, sa mère Eva nous attendait à la sortie de l’aéroport et nous avons pris ensemble un bus pour Valparaíso. J’avais noué avec elle, une amitié précieuse il y a de cela quelques années et c’est aujourd’hui chez sa famille que je me rends. La ville ne m’était pas complètement étrangère puisque j’avais déjà fait avec elle une première rencontre. En la quittant pour la première fois, je m’étais fait le serment d’y revenir pour poursuivre le travail que j’avais commencé. Autrement dit, c’est avec un objectif longuement mûri que je comptais entreprendre mon épopée dont le but était initialement, de produire son portrait. L’idée que je me faisais d’elle, était d’abord celle d’une ville mouvementée par ses fêtes nocturnes, joyeuse par ses rencontres et belle par ses couleurs et ses fresques, dans un labyrinthe de rues escarpées. Mais le contexte dans lequel je me trouvais me conduisit peu à peu à une errance photographique, dont je ne maîtrisais plus les objectifs. Je m’égarais au fil des rencontres, d’abord sans en avoir conscience, sans avoir aucune maîtrise de mon travail, de mes désirs photographiques et de mon implication personnelle. Sensation certes déroutante et parfois vertigineuse, mais cette mélancolie était agréable et enrichissante. L’imprévisibilité des circonstances me poussait donc à reconcevoir l’image que je m’étais faite de la ville et par là-même mon rapport à mon projet photographique. Ce sentiment était d’autant plus étrange qu’hébergé chez la famille de Sara, je découvrais aussi l’intimité du cocon familial, avec tout ce qu’une famille peut avoir de « bizarre ». Bien sûr, l’immersion dans un espace clos avec des personnes que l’on connaît à peine n’est déjà pas évidente en soi, mais ici ce fut particulièrement déroutant. D’abord, ce fut une rencontre festive avec barbecues et sorties dans les théâtres et les bars. Enthousiaste, je suivais le mouvement infernal et m’installais peu à peu dans un rythme de vie à la « porteños ». Puis ce fut un événement tragique qui infléchit le cours des choses. Ma première rencontre avec Don Mario l’arrière-grand-père de Sara fut celle avec un homme fatigué et âgé, qui impo- sait par sa seule présence un immense respect. Comme il ne pouvait plus parler, ce sont ses proches qui m’ont raconté sa riche trajectoire de vie, un roman comme on n’en fait plus. Bouquiniste, il lui est aussi arrivé de monter des sociétés et de faire des faux chèques, ce qui lui a coûté la prison. Même si on le pressentait, sa mort, qui eut lieu quelques jours après l’arrivée de Mario son fils, fut un électrochoc pour tout le monde. En effet, on savait tous qu’elle était inéluctable, mais la chose n’en fut pas moins surprenante et douloureuse. Le plus étrange, c’est qu’il mourut une fois la famille réunie comme s’il avait attendu la présence de tout le monde pour partir. Ce drame familial dont j’étais dans un premier temps le témoin, j’en fus aussi le protagoniste. On me sollicitait pour prendre en photo la cérémonie, tout en me faisant également sentir que ma présence n’était pas indispensable. Contradiction qui me mettait mal à l’aise et me bloquait dans ma volonté de faire des images. Pour autant, je m’y attelais dans la mesure du possible en essayant de ne pas gêner les retrouvailles familiales. Ces photographies que je vous présente ici sont le témoignage d’une rencontre avec une famille dans un moment particulier de leur vie. Elles sont aussi une confrontation à la réalité de la mort et à la tristesse qui en résulte. Et plus qu’un simple témoignage, elles représentent pour moi un type de questionnement sur la vie auquel il est important de se confronter.